La campagne à Paris...
Ce samedi, nous avons vécu une expérience ethno-sociologique: être parisiens le temps d'un après-midi. Parisiens au sens strict, à savoir que pour quelques heures, toute vie sur Terre n'existerait pas au-delà du périphérique. Pour nous aider dans notre quête, j'ai fait appel à une spécialiste: Marie, qui s'y connaît en sorties improbables et (con)ceptuelles. A une heure déjà avancée de la matinée (correspondant aux aurores pour nos hôtes sud-américains), nous avons pris le métro. En bout de ligne, c'était aéré et confortable. Sur nos sièges de velours rayé, nous regardions avec bonheur défiler le paysage urbain et c'était déjà très exotique pour nous, provinciaux de la campagne. En avançant dans Paris, l'atmosphère s'est confinée, la lumière du jour a disparu, et nous avons fini à 4 sur deux sièges pour laisser la place à deux postérieurs inconnus (sans trop savoir si cette pratique est courante dans le métro parisien). 17 stations plus tard (comptabilité tenue avec rigueur par Louis), notre destination s'affichait: Stalingrad. A la sortie du métro, aucun Merci, Bonpoint ou Pierre Hermé à l'horizon. Je me suis demandé où Marie nous entraînait, mais nous avons l'esprit d'aventure. Devant la pluie qui tombait à torrents, nous avons décidé de patienter un peu sous le pont du métro et de sympathiser avec les autochtones qui grillaient du maïs dans des caddies de supermarché (une forme de commerce qui n'est pas courante chez nous). Les enfants ont trouvé qu'un épi de maïs tout chaud, rongé là sous le pont de Stalingrad, en regardant la pluie tomber à seaux, c'était un peu le summum de la gastronomie (rappel: nous étions en début d'après-midi et n'avions pas encore déjeuné). Entre les détritus et les commerces "alternatifs", un panneau de direction semblait nous attendre, indiquant "le 104, espace culturel contemporain de la ville de Paris". Nous nous sommes élancés pleins d'espoir sous une pluie un peu moins battante mais quand même pas sèche, faisant une halte de temps à autre pour juger du diamètre des gouttes. J'ai vu au passage que je m'étais encombrée de calebasses pour rien au retour de Dakar: il y en a à foison dans les épiceries africaines rue d'Aubervilliers. Au bout de 800 m, nous étions en mesure d'affirmer que la pluie à Paris mouille pareil que la pluie de province, à ceci près que chez nous la voiture n'est jamais garée très loin. Avec soulagement, nous avons franchi l'entrée du lieu, ruisselants et affamés. On a joué au "premier qui trouve Marie". C'était facile: il n'y avait personne d'autre en train d'attendre sous la pluie près du camion à pizza que nous avions choisi comme point de raliement -et accessoirement argument marketing auprès des plus jeunes (soit 72,7% de notre échantillon). Puis Leonardo est apparu, ruisselant et affamé, et nous a évalué avec une précision étonnante le nombre de pizzas nécessaire à nourrir onze personnes dans des conditions extrêmes. Nous avons établi notre campement sous la pluie (avantage: nous avions de la place), à côté d'un petit marché bio, non loin d'un parterre de pommes en décomposition. Leonardo a acheté au marché bio du jus de pommes bio que nous avons bu fraternellement au goulot. Tout allait pour le mieux dans ce cadre bucolique, quand soudain Leonardo s'est mis à blêmir. Ces pommes, cette pluie, et nous... un instant il s'est cru en Normandie. Il commençait à suffoquer quand les pizzas sont arrivées, à notre grand soulagement. Revigorés par ce pique-nique "décalé" (du meilleur augure pour notre sortie improbable), nous nous sommes engoufrés dans le 104 dont nous avons apprécié l'architecture, le concept (un lieu de création dans d'anciennes pompes funèbres!) et le chauffage. Marie nous a emmenés dans une chouette librairie pourvue d'un espace enfants dans lequel on nous a demandé à plusieurs reprises de mieux surveiller les nôtres, pourtant adorables à cette heure de la journée... Le petit Louis, pour qui le concept de propriété est encore flou, a pleuré quand il a fallu payer son livre qui fait pouët pouët, puis pleuré parce qu'il voulait le ranger avant de partir... Enfin l'heure de notre rencontre avec l'art conceptuel avait sonné. Après un interrogatoire en règle et un étiquetage par des bracelets rose fluo, nous avons été autorisés à déambuler parmi les oeuvres. Le parterre de pommes et les plates-bandes d'herbe verte, on n'a pas trop insisté, rapport aux symptomes de Leonardo à l'heure du déjeuner. On a bien aimé en revanche la tour de cartons équipés de petits moteurs faisant osciller des bouts de ficelle, ce qui reproduisait à merveille le bruit dans notre véranda quand il pleut. (On a juste frôlé l'incident quand le petit Louis, sans doute par souci d'économie d'énergie, a entrepris de débrancher toute l'installation, mais Leonardo veillait). Il y avait aussi une souche surmontée d'un micro qui amplifiait le bruit des insectes qui grignotent le bois; c'était rigolo. Mais le clou de la visite était sans conteste ce parcours dans le sable, entre les mandarins et les guitares électriques, qui a captivé autant la petite Emilie que la grande Marie. Forcé d'attendre dans le froid pour y entrer, Leonardo a commencé à trépigner et à montrer des signes de mauvaise humeur. Il était temps que notre expérience prenne fin. Nous avons quitté le 104 sous un soleil providentiel. Dans les couloirs du métro, Leonardo a repris des couleurs. A Stalingrad, nos chemins se sont séparés, eux vers Bastille et nous vers l'Amérique du Sud, au-delà du périph. En 2013, on se fait le salon de l'Agriculture.