C'est quand demain?
Avec le temps, les mercredi étaient devenus plus faciles. Pas toujours très organisés, parfois carrément désordonnés, mais on arrivait toujours à faire quelque chose. Pas forcément des choses extraordinaires: juste aller à la bibliothèque tout près d'ici écouter un conte, ou au marché acheter du poisson et des crêpes. De temps en temps, on part en voiture pour une plus grande virée; à soixante kilomètres à la ronde, il est bien rare qu'on ne trouve pas de copains à envahir. Mais ces temps-ci, le froid ne pousse pas à sortir, et à l'approche des fêtes on se dit que tout le monde doit être occupé... Alors on reste au chaud, avec le souvenir de journées entières à la maison où on ne s'est pas ennuyé une minute, et on se dit qu'aujourd'hui aussi, tout va bien se goupiller. Seulement voilà...
Il y a des jours comme aujourd'hui où tout va de traviole. La matinée file sans qu'on la voie; on se réjouit que la télévision soit restée éteinte, pour s'apercevoir qu'en contrepartie, les chambres ont été dévastées. L'heure du repas approche et personne n'est encore habillé. Et malgré les trois piles préparées et les demandes répétées, tous trouvent toujours mieux à faire que de s'habiller. Alors après avoir demandé gentiment, on change de ton et c'est le drame; ça pleurniche, ça tape des pieds, claque la porte... Le postier qui apporte un colis imagine que vous venez de vous lever... Non, ça fait juste trois heures que vous courez dans tous les sens, à vider des machines, ranger des paniers de linge dans les armoires, tenter de préparer un repas qui ressemble à quelque chose, calmer les conflits entre frère et soeurs, régler les petites choses du quotidien...Du travail invisible, non rémunéré et non gratifiant. Il y a des jours où les enfants redoublent d'ingéniosité pour inventer des bêtises inédites, où leurs jeux les amènent à transporter des quantités insoupçonnables d'objets à travers les trois étages de la maison (qu'il leur sera ensuite impossible de ramener à leur point de départ, allez savoir pourquoi...). Des jours où vous finissez par croire que les enfants et le sort se sont ligués contre vous, bien décidés à vous achever. Appelée à la rescousse pour apporter une caution +/- scientifique à un pseudo-débat à la noix sur un site à la noix sur ce fameux sujet qui vous tient à coeur, vous prenez de votre temps (que vous ne maîtrisez plus du tout, de toute façon!) pour préparer un message le plus neutre possible, à base d'éléments objectifs et d'études irréprochables, qui, pensez-vous, mettra fin à la discussion... Erreur: ceux qui criaient aux "légendes de grand-mères" n'ont que faire des consensus de l'OMS et de votre evidence based medicine, naïve que vous êtes! "Ah les médecins..." et patati et patata... Allez, je range ma science, personne n'a demandé à débattre ni à être dérangé dans ses certitudes... C'était un n'importe quoi-based-débat à la c-- et j'ai perdu mon temps sur ce coup là (mais au point où on était, un peu plus ou un peu moins de temps perdu, bon...). Donc midi approche, la maman a rangé ses papiers sérieux et transformé un poulet congelé en un plat présentable... Elle attend avec impatience le retour du papa, histoire de faire une pause; non pas que les conversations des petits la saoulent, mais enfin... Pas de chance: le papa, attendu une bonne heure, est resté ce jour-là prisonnier de son travail, sans avoir eu le temps de manger, encore moins d'appeler ou de lire ses mails. Ce sont donc trois enfants affamés et fatigués que vous devez nourrir à toute vitesse avant de leur fournir une occupation qui les tienne à peu près calmes. Reste l'après-midi à écouler... L'un naviguera entre l'ordinateur et le télévision (qu'on a fini par allumer, à bout de ressources), les autres entre la télévision et leur déménagement à poursuivre. Pas le courage de sortir la peinture ni d'entamer un bricolage. Nos projets de sorties de l'après-midi tomberont à l'eau, manque de courage, trop froid, pas de carte pour la bibliothèque... Fin d'après-midi, fatigue, énervement, devoirs à faire, repas à préparer... D'ordinaire je suis capable de m'émerveiller de choses minuscules, mais aujourd'hui même la sieste insolite de la dernière a eu du mal à m'amuser. Le soir, nous avons récupéré un papa lessivé, tout juste bon à se coucher pour pouvoir retourner au boulot le lendemain... Il y a des jours comme ça dont on a hâte qu'ils se terminent... Comme le demande parfois Marie: "C'est quand demain? C'est aujourd'hui?"